Le fournisseur d'énergie québécois se retrouve provisoirement les mains dans les poches... sur un marché survolté. (Hydro-Québec)
L’équipe Couillard a provisoirement confisqué le développement du marché des cryptomonnaies à sa société d’État. En bon père de famille, estime-t-on dans l'entourage ministériel. Par vénalité, se murmure-t-il chez Hydro-Québec. Par erreur, regrette-t-on dans la communauté blockchain montréalaise.
Refuser des nouveaux clients. Voilà une réaction atypique pour un fournisseur d’énergie. Une réaction dictée par des événements eux aussi sans précédent. «Au cours des derniers mois, nous avons reçu des projets représentants plusieurs milliers de mégawatts», indique un document de suivi récemment adressé par Hydro-Québec à certains entrepreneurs improvisés de la blockchain.
Le distributeur d’énergie les appelle à la prudence et tient à leur préciser sa nouvelle position, à savoir qu’il ne sera pas possible d’alimenter toutes les installations. «Bien que nous disposions d’un volume important d’électricité pour satisfaire les différents besoins de la clientèle sur le territoire», sent bon de justifier le courrier.
Hydro-Québec explique ensuite travailler sur des lignes directrices qui permettront de déterminer les conditions pour accepter les projets «en tenant compte des besoins des autres clients et en s’assurant de limiter les hausses de tarifs au niveau de l’inflation».
Les grands groupes étrangers ne sont guère les seuls à courtiser la société d’État. Des particuliers qui gardaient jusqu’ici profile bas ont introduit des demandes d’approvisionnement dont la capacité se montre largement supérieure (>5000%) à la consommation d’une habitation moyenne.
Les exigences énergétiques dépassent même parfois celle des alumineries. Mais «sans créer de nombreux emplois, des fois on parle de 2 ou 3 emplois. Alors que des alumineries vont en générer des centaines», insistait encore hier le ministre québécois de l’Énergie au micro de RDI Économie.
«L’objectif du gouvernement est d’assurer à l’ensemble des Québécois que lors de pointes hivernales, Hydro-Québec ne dise pas ‘bein, écoutez, moi je peux pas fournir parce qu’on est en train de miner de la cryptomonnaie’», ironisait Pierre Moreau.
Ordre de battre en retraite
À première vue, ce rétropédalage d’Hydro-Québec étonne. L'opérateur du réseau électrique avait intensifié ses démarches par attirer des entreprises traitant des quantités gigantesques de données à l'instar de mineurs de bitcoin.
L’unité de développement des nouveaux marchés chez Hydro-Québec avait même pour mission de doubler les revenus à près de 30 milliards $ d’ici 2030 grâce à des stratégies commerciales dédiées à la technologie blockchain et aux cryptomonnaies.
Avec «des tarifs hautement concurrentiels (3 fois moins élevés qu’en Californie), un portefeuille de terrains de plus de 7,6 millions de mètres carrés, un service d’accompagnement permettant d’accélérer la réalisation des projets, et une expertise en efficacité énergétique pour limiter la consommation d’énergie», nous rappelle le dernier rapport annuel d’Hydro-Québec.
Et l'attraction paraissait efficace à en juger de la venue au Québec des géants (américains) de l’infonuagique, Google, Amazon et Microsoft pour ne pas les citer. Des gros clients dont la consommation énergétique ne cessera de croître.
Une stratégie commerciale manifestement efficace, répétons-le. Au point que «pour la cinquième année de suite, Hydro-Québec sera en mesure de verser un dividende supérieur à 2 milliards de dollars à son actionnaire, le gouvernement du Québec», se félicitait le PDG, Éric Martel.
Seulement voilà, il nous revient de bonnes sources qu’Hydro-Québec s’est fait confisquer la gestion du marché des cryptomonnaies et a reçu «ordre d’attendre tranquillement les nouvelles instructions du gouvernement» Couillard.
De favorable et même stratégique, l’approche réservée aux entreprises de minage passe temporairement à réfractaire.
Il semblerait que Québec ait cédé à l’imagerie frauduleuse, purement spéculative et écologiquement irresponsable des devises numériques généralement véhiculée par les économistes traditionnels ou les médias généralistes.
Le gouvernement aurait alors «peur d’être impliqué dans une crise de gestion», pris en défaut par un risque réputationnel ou contractuel et, cauchemar de l’actionnaire public, de voir le contribution d’Hydro-Québec de 4 milliards $ à ses revenus remise en cause par des pseudo-monnaies.
À l’heure d’écrire ces lignes, le porte-parole d’Hydro-Québec n’a pas encore pu réagir à ces bruits de couloir.
«Campagne de peur»
Qu’une directive politique en matière de cryptomonnaies contre-productive émane du gouvernement Couillard n’étonne pas le fondateur de la firme de consultance montréalaise Académie Bitcoin.
«Ce n’est pas surprenant considérant l’hostilité du gouvernement envers les changements technologiques. Les dossiers abondent: tentative d’interdiction d’Uber et maintenant la taxation des géants du web. Couillard semble s’inspirer des poussées réglementaires de l’Union européenne, stratégie qui a pour conséquence de faire fuir les investisseurs. On l’a vu dans les premières années d’Internet : aucun joueur majeur d'Internet n’est Européen», constate Jonathan Hamel.
Collaborant avec les acteurs principaux du «mining», il nous confie que l’attitude du gouvernement Couillard a déjà refroidi beaucoup de projets d’investissements dans la province. Or, ces entreprises possèdent toutes un plan de contingence pour s’établir à l’extérieur, notamment en Alberta.
«Beaucoup de producteurs de pétrole et gaz sont prêts à accueillir des installations de minage qui seraient alimentées par les ressources fossiles difficilement exportable ailleurs qu’aux États-Unis (qui profite de ce fait en sous-payant les ressources). On doit comprendre que c’est un phénomène mondial et que les joueurs sont extrêmement mobiles», poursuit le directeur de l’Académie Bitcoin.
Naturellement, les demandes d’installation provenant de groupes étrangers avec peu d’antécédents connus doivent éveiller la méfiance de nos dirigeants. Mais selon Jonathan Hamel, «on assiste à une campagne de peur» qui va précisément à l’encontre de ce que tentent de concrétiser depuis vingt ans les gouvernements successifs : des investissements technologiques en région tout en visant une diversification de l’économie, largement dépendante des ressources naturelles.
«Pensons y 2 minutes: le gouvernement Couillard empêche des groupes d’investir des capitaux privés dans des usines fermées sur la Côte-Nord, en Gaspésie et au Saguenay. Incroyable!», déplore le consultant, voyant davantage une opposition idéologique que factuelle. Le minage de bitcoin pouvant être perçu comme un incitant à l’utilisation d’énergie propre et renouvelable.
«On ne pourra suivre une surenchère»
Pendant ce temps, chez les principaux intéressés tels que le géant québécois Bifarms, on espère que le gouvernement Couillard va prendre en compte les retombées économiques dans la création de ses tarifs, en reproduisant par exemple les conditions accordées aux alumineries ou aux mines classiques.
«Le tarif y varie en fonction des emplois crées, de la recherche et développement, des emplois indirects etc. Bitfarms emploie aujourd’hui 80 personnes et projette d’en engager 300 supplémentaires en 2018, à temps plein, selon l’électricité disponible et si les tarifs n’augmentent pas», nous détaille Bahador Zabihiyan, le directeur des relations publiques.
Pour l’instant, les centres de calculs de Bitfarms créent ainsi près de 3 emplois directs par MW, un niveau sensiblement comparable à celui des centres de données. Il s’agit de types d’emploi variées: ingénieurs, programmeurs, électriciens, analystes… Tandis que le salaire moyen s’élève à 55 163$ (avec avantages sociaux).
«On n’embauche pas de contractuels car on veut conserver nos innovations à l’interne», fait remarquer Bahador Zabihiyan.
Quant aux craintes d’approvisionnement partagées par le ministre de l’Énergie et Hydro-Québec Distribution, on parvient difficilement à les comprendre chez Bitfarms.
Dans l’entente avec Hydro-Sherbrooke et Hydro-Magog, le producteur de cryptomonnaies a convenu d’utiliser seulement les surplus d’électricité et même, le cas échéant (grande consommation pendant l’hiver), de débrancher les machines.
«Ils ne produisent pas d’électricité supplémentaire pour Bitfarms. On compte consommer que les surplus, c’est à dire la différence la puissance de pointe facturée et la consommation réelle, différence qui serait gaspillée sinon».
Surtout que les chiffres alarmistes avancés par Hydro-Québec (de 3000 à 10000 MW) semblent purement hypothétiques. Quel mineur parviendrait à demeurer bénéficiaire dans cette configuration?
«C’est dommage d’utiliser ces chiffres dans les négociations. 10000MW témoignent d’un engouement, des mineurs qui veulent prendre de l’expansion. Mais de notre côté, nous soupçonnons aussi la spéculation: un promoteur s’essaye, fait une demande à Hydro-Québec, ça coûte rien. Il peut sécuriser de l’électricité pour un immeuble et la revend plus cher à un mineur étranger. C’est fréquent et préjudiciable», juge le directeur des relations publiques de Bitfarms.
La pire des situations serait alors qu’Hydro-Québec mette aux enchères des blocs d’énergie car cela favoriserait les joueurs avec une stratégie à court terme. Une société qui veut faire de l’argent rapidement pourrait surenchérir, le bitcoin offrant de bonnes marges.
«Mais une entreprise comme Bitfarms qui veut investir sur plusieurs années, faire de la RD, collaborer avec des universités, ne pourra suivre une surenchère», regrette Bahador Zabihiyan.
Et si le ministre des Finances québécois effleurait le sujet dans son nouveau budget présenté lundi prochain? Ça tomberait drôlement bien puisque Carlos Leitao devait analyser le prolongement du rabais sur les tarifs industriels d'Hydro-Québec.
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