(Québec) Huit intervenants, aucun refus. Personne ne s'est opposé à ce que La Presse passe aux mains d'un organisme à but non lucratif (OBNL) au cours de la commission parlementaire chargée d'étudier le changement de statut du quotidien, hier.
Power Corporation, la direction de La Presse, les représentants des employés et deux syndicats ont formé un «front commun» en faveur de la transaction.
Le directeur du Devoir a affirmé que les élus n'ont pas à se mêler des affaires des médias. Même le grand patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a reconnu qu'il ne s'«oppose pas» au projet de La Presse, bien qu'il doute qu'il s'agisse d'une stratégie souhaitable pour les employés.
Huit groupes ont défilé devant la commission parlementaire qui se penche sur le projet de loi 400. Cette pièce législative abrogerait une loi privée de 1967 par laquelle le gouvernement doit approuver le changement de propriété de La Presse.
En lever de rideau, le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a fait valoir que le projet avait suscité une large adhésion au sein de l'entreprise.
«Nous faisons alliance aujourd'hui derrière le projet de transformation de La Presse, car nous sommes tous convaincus que la structure à but non lucratif vers laquelle La Presse se dirige est la structure d'avenir qui donne le plus de chances d'assurer la pérennité de sa mission, soit de livrer une information de qualité, rigoureuse, basée sur les faits.»
Le changement de statut est urgent, a-t-il plaidé. Les revenus publicitaires se sont effrités au fil des ans, sapant le modèle d'affaires traditionnel des médias. Aujourd'hui, les géants américains du web Facebook et Google les accaparent à 80%.
Indépendant
Dans un témoignage attendu, le président et co-chef de la direction de Power Corporation, André Desmarais, a assuré que l'OBNL qui deviendra propriétaire de La Presse sera complètement indépendant du conglomérat.
M. Desmarais, dont le père a acquis La Presse en 1967, a admis que c'est à regret que la famille en cède aujourd'hui le contrôle. Mais il s'est dit convaincu qu'il s'agit de la meilleure façon d'assurer sa pérennité.
«C'est un héritage de mon père et il est certain que de voir cette institution quitter notre entreprise nous fait un pincement au coeur, a déclaré M. Desmarais. Cependant, dans le nouveau contexte du marché, il est difficile pour la société privée de soutenir seule une grande organisation de nouvelles telle que La Presse.»
Il a confirmé l'intention de Power Corporation de verser 50 millions à l'OBNL qui administrera La Presse. Le conglomérat se portera aussi garant des obligations passées du régime de retraite des employés du quotidien. Cette nouvelle structure d'entreprise permettra de recueillir des dons et d'obtenir de nouvelles formes d'aide gouvernementale.
Questionné par le député du Parti québécois Pascal Bérubé, M. Desmarais a affirmé que Power Corporation n'aurait aucun mot à dire dans le choix du conseil d'administration du futur organisme. Cette responsabilité relèvera de la direction de La Presse.
Quant à la ligne éditoriale du quotidien, M. Desmarais a dit souhaiter qu'elle demeure favorable à l'unité canadienne et qu'elle s'oppose à l'élection d'un «parti séparatiste», selon ses mots.
Il s'agit toutefois d'un souhait et non d'une demande formelle, a-t-il précisé. La somme de 50 millions que Power Corporation versera pour assurer la survie du quotidien «n'a pas d'attache», a dit M. Desmarais.
«Je n'ai pas fait de demande, a-t-il dit. Mais est-ce que c'est un souhait? Oui. Moi, je souhaite que La Presse garde sa mission et qu'elle continue à être ce qu'elle est parce que je trouve que La Presse offre un ballant de la société qui est magnifique. Elle l'a toujours fait et, à l'intérieur, je trouve qu'il y a beaucoup de pages qui permettent aux gens de s'exprimer.»
Mise en garde
Pierre Karl Péladeau a appelé les élus à bien réfléchir avant de permettre le changement de statut de La Presse. L'actionnaire de contrôle de Québecor, propriétaire du Journal de Montréal et du Journal de Québec, a prévenu qu'une mauvaise surprise risque d'attendre les employés de son concurrent.
«Ça devrait être plutôt favorable à Québecor parce que les chances de survie de La Presse détenue dans un OBNL sont beaucoup moins élevées que si La Presse demeurait chez Power Corporation, a-t-il déclaré. Je vous l'ai dit tout à l'heure : vous faites un swap d'un créancier extrêmement solvable pour une inconnue la plus absolue. Vraiment, ce n'est pas un bon deal pour les employés.»
M. Péladeau a souligné que, contrairement à La Presse, il a mis les employés de deux de ses quotidiens en lock-out pour assurer leur pérennité.
«J'ai été affublé pendant de nombreuses années du titre de roi du lock-out, a-t-il relaté. Mais je considérais que mon rôle était de faire en sorte de poser des gestes appropriés pour assurer la pérennité. Et s'il y avait des considérations, dans les conventions collectives, qui étaient malheureusement préjudiciables à l'avenir de nos quotidiens, il fallait les prendre, ces décisions.»
Mais lors d'un échange avec la députée caquiste Claire Samson, M. Péladeau a indiqué qu'il ne s'«oppose pas» à l'adoption du projet de loi 400. Il n'a d'ailleurs pas exclu que ses propres médias puissent un jour passer sous le contrôle d'un OBNL.
Quant au directeur du Devoir, Brian Myles, il a appelé les élus à adopter le projet de loi. Selon lui, le pouvoir politique ne devrait pas s'immiscer dans les affaires internes des médias.
«Tous les médias ont des modèles d'affaires différents, des structures différentes, a dit M. Myles. Il n'appartient pas au gouvernement de dire pour nous quelle sera notre structure juridique, quel sera notre modèle d'affaires.»
Réticences
Le projet de loi 400 a été déposé en fin de session parlementaire. Il faut donc que tous les élus consentent à la tenue d'un vote pour qu'il puisse être adopté.
Bien que M. Bérubé ait posé plusieurs questions pointues à la direction de La Presse et à M. Desmarais, le député du Parti québécois a confirmé qu'il n'empêcherait pas l'Assemblée nationale de se prononcer sur le projet de loi.
«Notre souhait, c'est que cette pièce législative puisse être adoptée d'ici le 15 juin prochain. Nous réservons notre vote suite à un échange avec le caucus, de façon démocratique.»
Ce n'est toutefois pas le cas de la députée indépendante Martine Ouellet, qui a exprimé de vives réticences par rapport à la transaction. À plusieurs reprises, elle a dit ne pas voir d'urgence à légiférer pour autoriser le changement de propriété du quotidien. Elle a également demandé à ce que La Presse lui montre ses états financiers, ce que l'entreprise a toujours refusé.
En fin de soirée hier, la députée a refusé d'indiquer si elle s'opposerait à la tenue d'un vote.
«Si on a suffisamment d'information pour permettre de sécuriser les emplois [...], ça me fera plaisir de pouvoir faire avancer les choses, mais pour l'instant, ce n'est pas le cas», a indiqué la députée.
«Affront»
Au terme de sa présentation en commission parlementaire, le vice-président du conseil de La Presse, Guy Crevier, a affirmé qu'un député qui ferait dérailler la transformation du quotidien porterait une «lourde responsabilité».
«Je ne comprendrais pas quelqu'un qui bloquerait absolument une transformation comme ça, a dit M. Crevier. Je pense que ce serait grave. Je pense que ce serait un affront majeur à la démocratie parce que La Presse joue un rôle important dans la démocratie.»
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