Les dirigeants de Bombardier, dont Pierre Beaudoin et Alain Bellemare, avaient-ils des informations privilégiées quand ils ont mis en place un programme pour vendre leurs actions, quelques semaines avant l'annonce de mauvaises nouvelles qui ont fait dégringoler le titre à la Bourse ?
C'est ce que voudra savoir l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui a déclenché, hier, un examen formel sur la mise sur pied du programme. En fait, l'organisme devra déterminer si, avec les informations dont ils disposaient et qui n'étaient pas accessibles au public, ces dirigeants ont commis un délit d'initié.
Dans un communiqué publié à la clôture des marchés hier, l'AMF explique « qu'elle examine les opérations entourant la mise en place du Régime d'aliénation de titres automatique (RATA) au mois d'août dernier par Bombardier et les différentes annonces faites depuis ». Le RATA est un programme par lequel des dirigeants cèdent à un courtier tiers le pouvoir de vendre leurs actions.
L'Autorité a aussi demandé à Bombardier de « suspendre, jusqu'à nouvel ordre, toute vente de titres en application du RATA et d'en aviser les courtiers exécutants ».
L'AMF ne compte faire aucun commentaire sur son investigation.
De son côté, Bombardier assure l'AMF de sa pleine collaboration. « Avec les pressions qui s'exercent sur le titre de Bombardier, précédant et suivant la publication de nos résultats financiers du 8 novembre dernier, des doutes sur les transactions ayant pu survenir dans les dernier mois ont été soulevés », reconnaît Olivier Marcil, vice-président, Relations externes. « Dans ce contexte, nous accueillons favorablement l'examen de l'AMF et nous souhaitons que celui-ci soit réalisé le plus rapidement possible. »
Coup dur
Des sources proches de l'Autorité soulignent que ce n'est pas de gaieté de coeur que Louis Morrisset, patron de l'AMF, a donné son feu vert à une opération qui, nécessairement, aura une incidence négative sur une entreprise déjà malmenée. Mais les vérifications préalables menées par ses officiers rendaient nécessaire une enquête plus poussée.
Les dirigeants d'entreprise doivent répondre à une série de questions précises quand ils se défont des actions de la société qu'ils dirigent. L'une d'elles vise à savoir s'ils sont en possession d'informations susceptibles d'avoir une incidence tangible, un effet matériel sur la valeur des titres.
Dans ce cas-ci, les dirigeants auraient expliqué qu'ils ne considéraient pas que les informations dont ils disposaient permettaient de prévoir une chute du titre, a appris La Presse.
Des sources des milieux financiers prédisent que l'AMF aura beaucoup de peine à justifier un recours.
Longtemps à la barre de United Technologies avant Bombardier, Alain Bellemare est parfaitement au courant des règles très strictes qui entourent les sociétés cotées en Bourse, rappelle-t-on.
Dans le rapport du deuxième trimestre, publié début août, la direction de Bombardier laissait entrevoir des « mesures stratégiques [...] pour placer l'entreprise en position pour croître fortement au cours de la prochaine décennie ». L'action de Bombardier a alors atteint 5,11 $.
C'est à ce moment que la direction de Bombardier met en place un régime d'aliénation de titres automatique, qui permet aux hauts dirigeants de liquider les millions d'actions qu'ils peuvent obtenir en exerçant leurs options. Le programme est rendu public à la mi-août, et la vente d'actions peut débuter le 17 septembre. On ne sait pas combien d'actions ont été vendues par les courtiers exécutants, le cas échéant. À la publication des résultats trimestriels, les dirigeants d'une société publique doivent être absolument transparents, partager sans réserve les informations dont ils disposent.
Une autre controverse
Début octobre, à la veille de la publication des résultats du troisième trimestre, l'action est déjà en forte baisse. Elle tombe en vrille (- 24 %) le lendemain du dévoilement des résultats décevants. L'action a clôturé hier à 2,09 $, en recul de 5 %. Depuis août, le titre a chuté de 63 %, ce qui représente une perte de 8 milliards de dollars de valeur boursière en quatre mois.
La semaine dernière, Bombardier a annoncé l'abolition de 5000 emplois à travers le monde, dont 2500 au Québec et 500 en Ontario, ce qui générera des économies de 250 millions d'ici 2021.
Mais plus que les mises à pied ou les ventes d'actifs, les problèmes de liquidités de la société sont à la source des craintes des investisseurs et, par conséquent, de la chute du cours du titre, observent les spécialistes.
Il y a quelques jours, les analystes constataient l'apparition d'un « trou » de 600 millions dans les flux de trésorerie prévus pour 2018.
Une variation gigantesque par rapport à ce que l'entreprise avait elle-même annoncé dans les mois précédents. Elle devait terminer 2018 en équilibre. Elle reprenait cette cible la semaine dernière. Mais cette fois, les 550 millions perçus pour la vente des installations de Downview, à Toronto, devenaient nécessaires au maintien de cet équilibre.
Selon le chef de la direction financière de Bombardier, John Di Bert, ce trou est presque entièrement attribuable à des retards de livraison dans la division Transports, expliquait-il lors d'une conférence avec les analystes.
C'est une autre controverse pour les dirigeants de la société. Alain Bellemare est déjà sur la sellette pour son absence au moment de la rencontre entre Bombardier et le ministre québécois de l'Économie, plus tôt cette semaine, pour discuter des mises à pied. La cession de la C Series à Airbus a aussi soulevé des critiques, tout comme les bonifications de rémunération que les dirigeants s'étaient accordées en 2017.
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