Loto-Québec « regarde attentivement le potentiel » d’un nouveau type de paris sportifs en ligne qui a connu une croissance exponentielle en Europe. Le live betting permet de parier en temps réel sur l’évolution d’un match en direct. Mais sa rapidité et son intensité inquiètent des spécialistes du jeu pathologique consultés par La Presse.
Quelle équipe marquera le prochain but ? Quel sera le score à la fin de la deuxième période ? Quelle sera la prochaine équipe à écoper d’une pénalité ? Combien d’essais seront nécessaires pour marquer le prochain touché ? Ce ne sont que quelques-unes des possibilités de paris déjà offertes sur des dizaines de plateformes de paris sportifs de nouvelle génération, qui sont cependant toutes illégales pour l’instant au Canada.
Avec le live betting, on ne parie désormais plus sur l’issue d’un match, mais bien sur une kyrielle d’événements liés à l’évolution de l’affrontement. Les cotes sont revues plusieurs fois par minute, en fonction du déroulement du jeu. Les paris sont dans la plupart des cas placés directement à partir d’un téléphone intelligent.
Hockey, tennis, basketball, golf, volleyball, handball : pratiquement tous les sports sont offerts sur ces plateformes. Des diagrammes animés en direct montrent même l’évolution des attaques et des replis de chaque équipe afin de permettre aux parieurs de suivre l’évolution du jeu.
Un des plus importants acteurs mondiaux du domaine, Bet365.com, affirme que 80 % des paris qu’il enregistre sont désormais des paris en direct, aussi appelés « in-game betting ».
Depuis Kahnawake
Un autre acteur populaire des paris en direct, SportsInteraction.com, est exploité à partir de la réserve mohawk de Kahnawake, sur la Rive-Sud de Montréal. Bien qu’il soit officiellement considéré comme illégal par les autorités canadiennes, le site a annoncé en juin dernier être devenu « partenaire officiel » de deux équipes de la Ligue canadienne de football – les Eskimos d’Edmonton et le Rouge et Noir d’Ottawa.
La Ligue nationale de hockey (LNH) a aussi conclu un partenariat, en 2018, avec MGM Resorts, un prestigieux exploitant de casinos de Las Vegas, dans le cadre duquel elle fournit toutes les données de jeu en temps réel afin de faciliter la prise de paris sportifs aux États-Unis.
Au Canada, l’article 207 du Code criminel interdit spécifiquement toute forme de pari sportif basé sur un match unique. Loto-Québec doit par exemple offrir des paris basés sur l’issue d’au moins deux matchs pour accepter les mises avec sa marque Mise-o-jeu.
Loto-Québec manifeste cependant un vif intérêt pour les paris en direct : « Il est vrai que le pari en direct est populaire auprès des amateurs de paris sportifs. Conséquemment, Loto-Québec regarde attentivement le potentiel de ce type d’offre pour sa marque Mise-o-jeu, et ce, en considérant ce que le Code criminel lui permet à cet effet », a indiqué l’organisme dans une déclaration transmise à La Presse par courriel.
Efforts de lobbyisme
« Il y a une poussée partout en Amérique pour développer une offre légale pour ce type de jeu, dit Paul Burns, PDG de l’Association canadienne des jeux de hasard. Les grandes ligues sportives font pression sur les organismes de régulation pour que ça devienne légal. La technologie qui permet ce type de pari est en train de perturber l’industrie du pari sportif en profondeur. Les équipes sportives y voient une façon d’impliquer davantage les fans. »
Le registre du Commissariat au lobbyisme montre qu’il y a un effort important pour changer la donne. The Stars Group, autrefois connu sous le nom d’Amaya, propriétaire de PokerStars et de Full Tilt Poker, tente depuis le mois d’août de convaincre le gouvernement d’autoriser les paris sur les « événements sportifs uniques ». The Score, un site spécialisé dans les nouvelles sportives, a aussi mandaté un lobbyiste pour faire modifier le Code criminel en ce sens.
En mars dernier, le ministère des Finances de l’Ontario a formellement demandé à son homologue fédéral Bill Morneau de modifier le Code criminel pour le faire. Le député néo-démocrate Brian Masse a pour sa part tenté, en vain, de faire adopter deux projets de loi privés permettant les paris sportifs sur des matchs uniques.
Le crime organisé est le principal bénéficiaire de la situation actuelle. Il suffit de changer une ligne dans le Code criminel pour que ce soit permis. Les provinces auraient ensuite le plein contrôle sur la façon d’implémenter l’offre.
Brian Masse, député néo-démocrate
Craintes de jeu pathologique
Des experts consultés par La Presse expriment des craintes par rapport à l’avènement de cette nouvelle forme de paris sportifs. « La formule crée plus d’occasions de parier, dit Sylvia Kairouz, titulaire de la Chaire de recherche sur l’étude du jeu de l’Université Concordia. Les joueurs sont stimulés et sursollicités, sur n’importe quel événement à l’intérieur de la partie. En plus, ça donne faussement l’impression aux joueurs qu’ils ont un plus grand contrôle, qu’ils sont davantage dans un jeu d’habiletés que dans un jeu de hasard. »
« Ça va vite. Tu peux jouer à n’importe quelle heure du jour, et c’est instantané », commente Sylvain B., membre de Joueurs anonymes Québec, qui a tâté du jeu lors d’une rechute. L’homme dit avoir passé quelques heures à parier sur le tennis : « Il y avait 36 possibilités différentes de paris. J’avais un bon buzz. Tu as l’impression d’avoir un plus grand contrôle qu’avec des paris sportifs traditionnels », dit-il.
« La rapidité avec laquelle on est capable de développer la sensation de plaisir avec un jeu de hasard a un pouvoir addictif », explique le Dr Jean-Pierre Chiasson, directeur médical du centre de traitement des dépendances Nouveau Départ. Si vous avez des actions qui se déroulent plus vite, c’est encore plus incitatif pour le gambler. C’est un facteur de risque dépendogène qui facilite le plaisir immédiat. »
Aux yeux de Sylvia Kairouz, Loto-Québec se trouve devant un dilemme cornélien face à ce type de paris. « Si nous voulons que cette société d’État reste forte et offre du jeu en exclusivité aux Québécois, il faut qu’elle réfléchisse à la possibilité d’emboîter le pas. L’offre existe de toute façon, indépendamment de ce qu’elle fait. »
Il faut cependant être conscients qu’on rendrait alors l’offre de jeu beaucoup plus agressive et beaucoup plus rapide, et il y a des risques très réels associés à ça.
Sylvia Kairouz, titulaire de la Chaire de recherche sur l’étude du jeu de l’Université Concordia
« Tu peux choisir à tout moment entre des milliers et des milliers d’événements sportifs qui se déroulent partout dans le monde », dit quant à lui Harland Redlick, un habitué de ces plateformes qui parie surtout sur le basketball. « Si tu connais bien le sport et que tu observes bien l’évolution d’une partie, tu peux choisir les bonnes occasions de paris, tu as un meilleur contrôle qu’en pariant sur une partie qui aura lieu dans trois jours, croit-il. C’est très convivial. »
« Mais c’est sûr que si tu es accro à l’action, tu peux parier constamment – 20, 30 ou 50 fois par partie. Les joueurs problématiques, ça va grimper, c’est sûr », ajoute M. Redlick, qui se décrit comme un « parieur profitable ».
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