En pleine pénurie de main-d’œuvre, le Québec voit partir chaque année des milliers de travailleurs qualifiés en quête d’un meilleur salaire ou d’une meilleure qualité de vie. Et ce, sans que le gouvernement agisse pour les retenir.
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Ils sont médecins, infirmiers, architectes, ingénieurs, administrateurs, chercheurs, enseignants, avocats, comptables : Le Journal s’est entretenu avec plus d’une trentaine d’expatriés québécois au cours des derniers mois.
Ces professionnels ont tous en commun d’avoir fait leurs études postsecondaires au Québec, avant de déserter pour le Canada anglais ou l’international.
La plupart du temps, ces travailleurs qualifiés sont partis pour relever de nouveaux défis, obtenir un meilleur salaire, bénéficier de conditions de vie bonifiées ou améliorer leur anglais.
« C’est préoccupant », avance Stephen Gordon, professeur titulaire au département d’économie de l’Université Laval. « Le problème, c’est qu’on n’est pas capable de créer les bonnes circonstances pour les retenir. Un médecin, on aimerait qu’il reste. Mais on ne peut pas le forcer. »
Certains reviendront après quelques années. D’autres, jamais. Et il devient encore plus ardu d’espérer le retour de ceux qui s’épanouissent dans leur travail, qui se sont créé un cercle social solide ou qui ont fondé une famille.
« S’ils ne reviennent pas dans les six premières années, ces travailleurs vont demeurer sur le territoire qu’ils ont choisi », analyse Line Lagacé, vice-présidente chez Québec International, qui a pour mission de recruter des travailleurs étrangers dans la capitale. « C’est extrêmement difficile de les ramener après ça. »
Et pendant ce temps, Québec regarde passer la parade. Le ministère de l’Emploi – qui a refusé toutes nos demandes d’entrevue pour ce dossier – n’a ni programme ni budget consacré spécifiquement à la rétention de la main-d’œuvre québécoise qualifiée. Par courriel, la porte-parole Catherine Poulin a plutôt vanté les actions du gouvernement... pour recruter des travailleurs étrangers.
Pourtant, la province aurait avantage à mettre des efforts pour mieux comprendre le phénomène dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, selon des experts.
« C’est certain que si on a des professionnels qui quittent [la province] parce que leur qualité de vie ou leur salaire n’est pas adéquat, je pense qu’on a la responsabilité de revoir ça », avance François Matte, associé au Groupe Perspectives, qui travaille dans le recrutement de personnel.
« Il ne faut pas s’attendre à ce que les meilleures personnes restent pour des salaires moins élevés. Et le salaire est généralement moins élevé au Québec qu’ailleurs au pays. On peut bien parler de qualité de vie au Québec, mais ces gens-là vont quand même avoir une bonne qualité de vie ailleurs ! », illustre le professeur Gordon.
Dans une rare étude publiée en 2013 sur l’exode des cerveaux canadiens vers les États-Unis, les chercheurs Brahim Boudarbat et Marie Connolly écrivaient que la « rétention de nos diplômés devrait être au premier plan des préoccupations des décideurs politiques ».
« Si on a des gens qui sont ici, qui sont formés et qui décident d’aller travailler à l’étranger, c’est des gens qu’on n’a pas pour répondre aux besoins du travail local, explique en entrevue Mme Connolly. S’il y a des gens qui partent et qu’on n’a personne pour combler les trous, je pense que c’est là qu’on a un problème. »

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Architectes dans deux grandes firmes de Montréal, Yoann Plourde et Sophie Tremblay ont tout quitté en 2017 dans l’espoir de travailler sur l’Exposition universelle de 2020 à Dubaï.
Originaires du Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’homme de 31 ans et la femme de 33 ans ont remporté leur pari. « On a fait la conception du pavillon de l’Arabie saoudite. Et on a travaillé in extremis sur le pavillon des États-Unis », expose Yoann.
Le duo, qui est en train d’acquérir une expérience professionnelle inédite, ne ressent pas le besoin de revenir au Québec pour le moment. « On travaille sur des projets internationaux. Au Québec, on aurait des projets locaux, peut-être canadiens », illustre Sophie.

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Directrice de compte pour une boîte de publicité à Québec, Sandie Lafleur ne devait passer que l’année 2016 à Vancouver, pour y apprendre l’anglais. « Le plan, c’était de revenir », assure la professionnelle de 35 ans, originaire d’Asbestos.
De contrat en contrat toutefois, elle décroche un emploi de rêve à l’Université Simon Fraser. « À Vancouver, une personne avec un baccalauréat en communication et une dizaine d’années d’expérience, qui se débrouille en anglais et qui a un super bon français, c’est rare et très recherché. Les gens tripent sur le français ici ! », assure-t-elle.

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Exilés depuis deux décennies, Josianne Gros-Louis et Jean-Philippe Fortin résident et travaillent en Australie, où ils sont aujourd’hui parents d’un petit Coréen.
Originaire de Québec, le couple amorçait la vingtaine quand une opportunité d’emploi les a tout d’abord propulsés en Californie.
« J’avais envoyé 500 CV dans toutes les mines du Canada à la fin de mes études, et personne n’engageait d’ingénieur junior. Je me suis fait offrir une interview à San Francisco pour une compagnie très spécialisée dans les pipelines », se rappelle l’ingénieur minier de 44 ans.
Malgré un poste à temps plein dans une grande firme de relations publiques à Montréal qui l’attendait, Josianne a suivi son amoureux, obtenu une maîtrise en relations internationales à San Francisco et s’est mise à travailler aux États-Unis.
En 2008, las du rythme de travail effréné, le couple étudie la possibilité de revenir travailler au Canada, notamment à Montréal. Mais au fil des recherches d’emploi, Jean-Philippe Fortin tombe plutôt sur un poste... en Australie.
« L’Australie offrait des avantages financiers pour les immigrants. Le plan était de déménager là pour quatre ans, puis s’installer à Montréal ou à Vancouver. Ça fait 11 ans maintenant qu’on est ici », relate-t-il.
Le couple est rapidement tombé amoureux de sa terre d’accueil, Perth. Le mode de vie, la proximité de la plage, la facilité d’accès au système de santé, le taux d’imposition plus bas qu’au Québec, les six semaines de vacances annuelles et les opportunités de voyage en Asie les ont charmés, entre autres.
Pour couronner le tout, Noah, un petit garçon coréen aujourd’hui âgé de quatre ans, est entré dans leur vie il y a deux ans. Et le petit est élevé dans la culture québécoise.
« On parle français à la maison. On lit les journaux québécois, on écoute les nouvelles. Jean-Philippe et Noah mettent leur chandail du Canadien et regardent le match de hockey », lance en riant Josianne.

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Myriam Drolet a réalisé en 2015 son rêve de travailler à Paris, et ce, même si son emploi en pharmaceutique s’avérait au départ moins payant que ce qu’elle gagnait au Québec.
« Il y a tellement autre chose dans la vie que la paie. Il y a des avantages immenses à travailler en France. Juste les vacances, c’est fou ! », lance la femme de 36 ans, qui jouit grosso modo de près de 10 semaines de congés payés.
Elle profite de ce temps libre pour voyager – souvent à vélo – avec son conjoint. « J’ai traversé 10 pays cet été, de l’Italie à la Norvège, en deux semaines. C’était juste magique ! » résume-t-elle.
Au cours des trois dernières décennies, les citoyens du Québec ont été plus nombreux chaque année à quitter leur territoire pour rejoindre le Canada anglais que l’inverse.
Selon le plus récent bilan démographique du Québec rendu public en décembre, quelque 36 000 individus ont déserté le territoire québécois en 2018.
Sur le lot, plus de 28 000 ont trouvé refuge dans les provinces canadiennes, principalement en Ontario (19 000) et en Colombie-Britannique (près de 3000).
Ces émigrants ont en moyenne 32 ans, donc l’âge de travailler.
L’inverse ne s’est pas produit. Ainsi, bien que la tendance tende à s’améliorer, le solde des migrations interprovinciales est négatif pour le Québec, et ce, depuis plus de 30 ans.
« Il y a toujours un endroit au Canada où il y a potentiellement un marché de l’emploi qui attire un peu plus de monde », résume Chantal Girard, de l’Institut de la statistique du Québec.
Les quelque 8000 autres résidents québécois sont partis à l’international, souvent sans laisser de trace. Difficile, ainsi, de savoir ce qu’ils sont devenus.
« C’est vraiment le parent pauvre [de la statistique]. Ce sont des gens qui ne sont plus sur le territoire, donc c’est très difficile de les connaître », expose Mme Girard.
Ce faisant, il existe peu de données sur le phénomène d’émigration québécoise.
Malgré les multiples recherches effectuées par Le Journal, aucun organisme ou ministère, ni au Québec ni au Canada, n’a été en mesure de nous fournir de statistiques précises concernant le nombre de travailleurs qualifiés québécois ayant quitté le territoire.
Les chercheurs s’en remettent souvent à des estimations.
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