La Commission européenne propose mercredi un projet de taxation ciblant le chiffre d’affaires des géants du numérique. Et espère, malgré des oppositions au sein de l’UE, une mise en œuvre avant les élections de mai 2019.
Les Gafa devraient sentir leurs oreilles siffler plus fortement qu’à l’accoutumée cette semaine. Au cœur d’une bataille mondiale pour aboutir à une juste taxation de leurs colossaux profits, les géants du numérique (Google, Apple, Facebook et Amazon) sont au menu de trois réunions cruciales dans les prochains jours : la rencontre des ministres des Finances du G20 lundi et mardi à Buenos Aires, les annonces de la Commission européenne mercredi suivies, en fin de semaine, de la réunion du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE à Bruxelles. L’objectif ? Accélérer au niveau mondial et surtout européen la mise en place de dispositions fiscales capables de répondre aux défis posés par la numérisation tous azimuts de l’économie.
Comment l’Europe entend-elle montrer la voie ?
Pour Bruxelles, empêtré depuis des années dans le serpent de mer de l’harmonisation des règles fiscales à l’échelle de l’UE, l’urgence est de prouver sa détermination à lutter contre une injustice fiscale devenue un des symboles de son impuissance. Décidée à bousculer le calendrier, la Commission va proposer mercredi un projet de taxation ciblant les grandes entreprises du numérique. Il s’agit d’un nouvel impôt basé non pas sur les bénéfices, mais sur le chiffre d’affaires qui touchera toutes les entreprises de taille significative du secteur à hauteur de 2 à 5 % de leurs revenus. Une réponse politique à la pression d’une grande majorité des Etats membres, explique-t-on à Bruxelles, qui se sont finalement ralliés à la proposition exprimée par Macron lors de son discours sur la refondation de l’Europe en septembre à la Sorbonne. Afin de ne pas handicaper les start-up et PME européennes largement distancées par les mastodontes américains du secteur, un seuil de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires et d’au moins 50 millions d’euros de revenu imposable dans l’Union a été retenu. Cette taxe présentée par le commissaire aux Affaires économiques et à la Fiscalité, Pierre Moscovici ne concernera pas «des acteurs en particulier mais des activités», précise-t-on à la Commission. Cette dernière cherche à éviter d’être accusée par Washington de ne cibler que les Gafa et de recourir à des mesures protectionnistes au moment où les tensions commerciales s’exacerbent entre l’Europe et les Etats-Unis. Parmi la centaine d’entreprises touchées par ce nouvel impôt, quelques locomotives européennes de la «Tech» devront donc également s’en acquitter.
Dans son souci d’appliquer cette taxe au plus grand nombre possible, la Commission a retenu le critère très généraliste d’une «contribution des usagers». C’est le cas pour les réseaux sociaux et les moteurs de recherche comme Facebook, Twitter ou Google, dont les revenus proviennent de l’audience et de l’exploitation des données des utilisateurs à des fins publicitaires. Mais cela concerne également les «places de marché» de biens et de services (Uber, Airbnb, Blablacar, Booking, Amazon, etc.) en prélevant une commission sur les transactions réalisées. En revanche, les modèles d’abonnement comme pour les services musicaux, de vidéo à la demande et d’hébergement de données d’Apple, Netflix ou encore Spotify ne seront pas concernés.
Les recettes fiscales dépendront du taux qui sera retenu par la Commission. A 5 %, ce nouvel impôt devrait rapporter 8 milliards d’euros, à 3 %, seulement 5 milliards. Des sommes modestes au regard des montants brassés par les géants du Web - en France, Google et Facebook captent près de 80 % d’un marché de la publicité numérique de 4 milliards d’euros annuels -, mais le plus important pour Bruxelles est de mettre enfin «un pied dans la porte» et d’envoyer un signal politique à des citoyens de l’UE de plus en plus séduits par un vote sanction populiste.
Ce projet a-t-il des chances d’aboutir ?
En matière fiscale, l’unanimité des 28 Etats membres est requise et les partisans de cette taxe, très majoritaires en Europe, n’entendent pas la faire aboutir dans le cadre limité d’une coopération renforcée qui permettrait à certains pays de ne pas l’appliquer. «Cela reviendrait à maintenir une concurrence faussée dans l’UE en perpétuant la course au moins-disant fiscal entre les Etats», explique-t-on à Bercy. Très en pointe dans ce combat, la France, soutenue depuis le départ par l’Italie et l’Espagne, a convaincu l’Allemagne et entend mettre une pression maximale sur les pays réfractaires lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement jeudi et vendredi à Bruxelles. Dimanche, le secrétaire d’Etat au numérique, Mounir Mahjoubi, a déclaré que «la France ira jusqu’au bout», en se disant optimiste sur les chances d’aboutir. Il faudra convaincre les pays traditionnellement opposés aux incursions de l’Europe dans le domaine de la fiscalité, comme l’Irlande et le Luxembourg, qui hébergent les sièges européens de plusieurs géants du numérique et, dans une moindre mesure, les Pays-Bas, dont certains dispositifs fiscaux sont très favorables aux multinationales. Sans parler des pays baltes, de Malte et Chypre. Tous opposés à la mesure, les pays scandinaves, Suède en tête, s’inquiètent des réactions des Américains et préféreraient attendre de voir aboutir les chantiers d’harmonisation également menés par Bruxelles et au niveau du G20. «Tout va se jouer d’ici juin, explique-t-on dans l’entourage de la Commission où l’on craint qu’en l’absence d’accord, chaque pays passe à l’action en rangs désordonnés. Cette proposition est là pour éviter de se retrouver avec 12, 14 ou 18 taxes en Europe.» Le calendrier est très serré : l’objectif est d’aboutir à une directive avant les élections européennes de juin 2019 pour une application dès 2020.
Cette taxe européenne est-elle définitive ?
De l’aveu même de ses initiateurs, cet impôt «intérimaire et imparfait», qui taxera les géants du numérique non plus en fonction de la localisation de leur siège mais partout où s’exerce leur activité, ne devrait avoir qu’une durée de vie limitée. Partie prenante des travaux du G20, qui a mandaté depuis 2014 l’OCDE pour trouver une solution plus globale à ce problème archicomplexe de la fiscalité des activités numériques, l’Europe en discutera lundi et mardi lors de la réunion de Buenos Aires. Mais les Etats-Unis s’opposent à ce que les géants du numérique soient taxés différemment des autres multinationales. «On ne peut pas se contenter d’attendre une définition internationale encore hypothétique, explique Pierre Moscovici. Le plus important pour nous, c’est de trouver une solution structurelle et d’avenir et la taxation du futur sera bien sûr les profits.» En attendant qu’elle voie le jour, pas avant 2022, l’Europe mise sur sa taxe «transitoire» pour aider le G20 à aller plus vite.
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