Il est arrivé le 19 novembre au Japon, tout-puissant PDG de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors. En l'espace de quelques minutes, son sort a basculé : interpellé par des enquêteurs du parquet sur des soupçons de malversations, le dirigeant âgé de 64 ans a aussitôt été envoyé dans un centre de détention du nord de la capitale.
Il pensait sans doute n'y passer que quelques heures, quelques jours au maximum. Près d'un mois plus tard, il séjourne toujours dans une petite cellule, avec la perspective de rester en prison jusqu'à fin décembre voire bien au-delà.
Étape importante lundi dans un parcours judiciaire qui s'annonce long : le bureau des procureurs lui a notifié sa mise en examen pour avoir omis de déclarer aux autorités boursières environ 5 milliards de yens (38 millions d'euros) de revenus sur cinq années, de 2010 à 2015. Son bras droit Greg Kelly, arrêté en même temps que lui, a aussi été inculpé.
La garde à vue des deux hommes a en outre été prolongée sur de nouveaux soupçons de minoration de ses émoluments, cette fois entre 2015 et 2018, pour un montant de 4 milliards de yens. Elle peut durer 22 jours à partir de lundi.
« Regrets »
Nissan est également poursuivi en tant qu'entité morale, le parquet jugeant que la responsabilité de l'entreprise était aussi engagée car c'est elle qui a remis les rapports incriminés aux autorités boursières.
Le constructeur a fait part de « ses regrets les plus sincères » dans un communiqué, reconnaissant que l'affaire « nuisait fortement à l'intégrité de sa communication auprès des marchés ».
« Nissan va continuer ses efforts pour renforcer sa gouvernance », ajoute le groupe, par ailleurs fragilisé par un scandale lié à l'inspection de ses véhicules.
Carlos Ghosn, prestement limogé de la présidence de Nissan et de Mitsubishi Motors, n'est lui pas au bout de ses peines : le parquet pourrait ultérieurement se pencher sur de possibles abus de biens sociaux, tels que l'usage de résidences de luxe aux frais du groupe.
Dans cette affaire, les rumeurs, spéculations, scénarios sont nombreux, et la parole officielle rare si ce n'est, au tout début, celle du patron exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa, qui a d'emblée lâché son ancien mentor.
Les procureurs ont pour l'instant communiqué a minima et la défense de Carlos Ghosn, menée par Motonari Ohtsuru, un ex-procureur spécialiste des grandes affaires financières, ne s'est pas publiquement exprimée.
Tout juste sait-on que « le suspect Ghosn », comme l'a rebaptisé la presse nippone, nie toute malversation. « Il est dans un état d'esprit vaillant et combatif », souffle-t-on au siège de Renault, à Boulogne-Billancourt près de Paris, malgré les conditions spartiates de l'établissement où le Franco-libano-brésilien est détenu.
Il se dit bien traité, reçoit la visite des ambassadeurs de France, du Liban et du consul du Brésil, et s'occupe à lire livres et magazines quand il n'est pas interrogé par les enquêteurs.
« Symbole »
Au cours des auditions, M. Ghosn aurait reconnu avoir signé des documents mentionnant des paiements qu'il était censé percevoir au moment de quitter le groupe mais il assure, selon la presse, que ces montants n'étaient pas définitivement établis et n'avaient donc pas à être inclus dans les rapports publics de Nissan.
D'après une source proche des investigations, ce système a démarré après l'entrée en vigueur d'une loi imposant aux administrateurs les mieux payés de divulguer leurs rémunérations. Le but de M. Ghosn aurait été d'éviter les critiques des actionnaires et employés.
Quelle que soit son issue judiciaire, l'affaire laissera des traces dans l'alliance Renault-Nissan née en 1999 et devenue, avec l'apport de Mitsubishi Motors en 2016, le premier ensemble automobile mondial.
Des deux côtés, les dirigeants tentent de rassurer. Le premier ministre japonais Shinzo Abe a encore répété lundi soir devant la presse, « l'importance de maintenir une relation stable pour ce symbole de la coopération industrielle franco-japonaise ». « Je suis certain que les rapports entre les deux pays ne seront pas ébranlés », a-t-il dit.
Mais chez Nissan, la mise à l'écart de M. Ghosn a comme libéré la parole et les frustrations ont éclaté au grand jour, transpirant dans les médias japonais où « M. Ghosn et l'État français (actionnaire de Renault) sont le diable », résume un analyste du secteur, Takaki Nakanishi. On voit là, dit-il, l'opportunité de « re-japoniser » le groupe et de revoir les termes du partenariat.
À l'inverse, chez Renault, qui possède 43 % de Nissan et dont M. Ghosn reste le PDG, c'est l'incrédulité qui domine, la « stupeur ».
Le constructeur français regrette de n'avoir toujours pas pu obtenir de son partenaire japonais une transmission, d'avocat à avocat, de la totalité des pièces à charge. Nissan est cependant « disposé à le faire dès que possible », cette semaine a priori, a précisé une source proche du dossier.
Au Liban aussi, l'interpellation du magnat, symbole de la réussite de la diaspora libanaise, a laissé pantois. « Le phénix libanais ne sera pas brûlé par le soleil du Japon », a même lancé le ministre de l'Intérieur, Nohad Machnouk, tandis que des portraits de l'homme d'affaires s'affichaient dans les rues de Beyrouth, barrés du slogan : « Nous sommes tous Carlos Ghosn ».
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