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Un pari de 1,3 milliard $ qui fait sourciller - TVA Nouvelles

L’investissement de 1,3 milliard $ de la Caisse de dépôt et placement dans un fonds immobilier de WeWork, un géant américain secoué par de vives controverses à Wall Street, a fait réagir au sein de l’institution.

Au printemps, en présentant cette transaction, l’une des plus importantes de 2019, le PDG Michael Sabia a placé le conseil d’administration de la Caisse «devant un fait accompli», confie au Journal une source bien informée, sous le couvert de l’anonymat.

L’investissement d’un milliard de dollars américains a été fait par l’entremise de la filiale immobilière de la Caisse, Ivanhoé Cambridge.

Or, selon notre source, des cadres d’Ivanhoé et de la Caisse ont exprimé de grandes réserves au sujet de cet investissement.

Maxime Chagnon, porte-parole de la Caisse, rétorque que le dossier a suivi « les processus d’approbation habituels » et qu’il a été entériné par six comités décisionnels : trois chez Ivanhoé et trois à la Caisse.

«Qu’il y ait des questions qui sont soulevées, peu importe l’investissement, c’est normal, soutient M. Chagnon. C’est de la saine gouvernance.»

Des observateurs externes s’interrogent par ailleurs sur la façon dont la transaction a été structurée avec WeWork, leader mondial des espaces de travail partagés dont la viabilité financière est toutefois remise en question.

Avec son engagement d’un milliard de dollars américains, la Caisse sera, et de loin, le plus important investisseur dans le nouveau fonds immobilier de WeWork, baptisé ARK Master Fund.

WeWork n’y injectera pas plus de 25 millions de dollars américains, apprend-on à la lecture du prospectus déposé récemment par The We Company, la société mère de WeWork, en vue de son entrée en Bourse.

Malgré son engagement financier modeste, c’est WeWork qui contrôlera l’ARK Master Fund. L’entreprise new-yorkaise a nommé trois des quatre membres du comité d’investissement du fonds, la Caisse n’obtenant qu’un seul siège.

«Un sur quatre, ce n’est pas beaucoup compte tenu de la somme d’argent qui est mise là. [...] Tu peux faire valoir ton point de vue, mais tu ne peux pas renverser une décision», note Jean Bédard, titulaire de la Chaire de recherche en gouvernance de l’Université Laval.

Pourtant, pour son autre fonds immobilier, WPI, lancé en 2017, WeWork a accepté de partager le pouvoir avec son proche partenaire, la firme d’investissement new-yorkaise Rhône. Au comité d’investissement de WPI, WeWork et Rhône ont chacun deux représentants. WeWork s’est engagée à investir 77 M$ US dans WPI, alors que plus de 745 M$ US proviennent de Rhône et d’autres investisseurs.

«Les gens d’Ivanhoé Cambridge sont quand même des spécialistes dans le domaine immobilier. Ils devraient être capables, eux aussi, de déterminer quelle bâtisse est la meilleure à acheter ou pas», estime M. Bédard.

Une source confidentielle de la Caisse assure que dans certaines circonstances, Ivanhoé pourra refuser de prendre part à certaines transactions proposées par WeWork.

La création de fonds immobiliers permet non seulement à WeWork de profiter de l’augmentation de la valeur des édifices où elle offre des espaces de travail partagés, mais aussi de faire croître ses propres revenus.

À titre de gestionnaire d’ARK et de WPI, WeWork perçoit des frais pour la gestion des édifices et des honoraires sur les transactions réalisées par ces fonds. Ceux-ci viennent d’être fusionnés et ont pris le nom d’ARK.

De plus, ARK permettra à WeWork de mettre fin à une situation qui devenait de plus en plus embarrassante : sa présence comme locataire dans quatre édifices qui appartiennent en partie au cofondateur et PDG de l’entreprise, Adam Neumann.

ARK rachètera les quatre propriétés au prix que M. Neumann les a payées il y a quelques années, plus les intérêts. La Caisse n’a pas encore décidé si elle allait participer à ce rachat.

«Ils vont faire un gain énorme dès le premier jour, a déclaré Adam Neumann à Bloomberg en mai. Ce sera fantastique.»

Il reste un autre conflit d’intérêts : le fait qu’avec ARK, WeWork est désormais locataire de locaux dont elle est aussi copropriétaire, en bonne partie grâce à l’apport financier de la Caisse.

Pour l’institution québécoise, « le danger, c’est... est-ce que WeWork va vouloir soutirer un profit comme locataire plutôt que comme propriétaire ? C’est pourquoi il faut se demander à quel point tout cela a été réfléchi en se projetant dans l’avenir », affirme Charles Elson, un expert en gouvernance de l’université du Delaware.

Sébastien Théberge, porte-parole d’Ivanhoé Cambridge, reconnaît que la transaction avec WeWork est « innovante ». Il précise cependant que les contrats signés avec l’entreprise prévoient plusieurs « mécanismes » pour éviter les conflits d’intérêts. Par exemple, les baux doivent respecter les conditions du marché.

«Lorsqu’il y a une entente particulière entre ARK et WeWork, elle doit être approuvée par Ivanhoé Cambridge», indique M. Théberge.

Dans un entretien avec la publication spécialisée PERE, le chef de l’investissement d’Ivanhoé, Sylvain Fortier, a reconnu que le placement dans ARK était risqué. Il a toutefois ajouté que de ne pas le faire aurait aussi représenté un risque, compte tenu de l’importance qu’a maintenant WeWork dans le marché immobilier.

- 1,8 milliard $ US

- Revenus (2018) : 1,6 milliard $ US

- Perte nette (2018) : 528 emplacements

- 29 pays

Depuis le printemps, la Caisse a fait l’acquisition de deux édifices dans le cadre de son partenariat avec WeWork. Pour 57,8 millions de dollars américains, l’ARK Master Fund a mis la main sur un bâtiment flambant neuf de neuf étages situé à Austin, au Texas, et occupé en totalité par WeWork. Et, pour 330 millions de dollars américains, ARK vient de conclure l’achat du 600, California, à San Francisco, un édifice de 20 étages construit en 1990.

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