Au delà des malversations dont on l'accuse, il pourrait avoir fait les frais d'un "coup d'État" orchestré par Nissan.
L'affaire Ghosn a créé une onde de choc dont on n'a pas fini de constater les répercussions. Soupçonné de fraude fiscale et d'abus de biens sociaux, le puissant patron de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi dort depuis lundi dans une prison de Tokyo. Il est soupçonné de fraude fiscale -il aurait minimisé ses revenus de près de 40 millions d'euros sur cinq ans- et d'abus de biens sociaux. S'il est bien trop tôt pour se prononcer sur le fond de l'affaire, on peut s'interroger sur ce qui ressemble fort à une révolution de palais. Certains médias japonais parlant même d'un "coup d'État".
Accusé de favoriser Renault
Pour commencer, Il est de notoriété publique que Carlos Ghosn entretenait des relations de plus en plus compliquées avec le gouvernement japonais. Des politiques qui avaient l'impression que ces dernières années, le Franco-Libanais avait tendance à favoriser le groupe Renault au sein de l'alliance, au détriment de Nissan : le choix de produire la dernière génération de Nissan Micra dans l'usine de Flins, dans les Yvelines, aurait notamment beaucoup heurté. Son salaire annuel - 15 millions d'euros en 2017 - avait aussi de plus en plus de mal à passer dans l'archipel. Les émoluments des grands patrons japonais sont en effet sans commune mesure avec ce que l'on peut voir en Europe ou aux États-Unis : le salaire d'Akio Toyoda, le patron de Toyota, est ainsi cinq fois inférieur à celui de Ghosn.
Une possible fusion non désirée par Nissan
Des dissensions avec le monde politique qui seraient venues se greffer à un ressentiment latent du côté des dirigeants de Nissan. Ces derniers semblaient en effet vivre de plus en plus mal le fait que Renault détienne 43% de leur capital, tandis que Nissan ne détient que 15% du Français et aucun droit de vote. Le constructeur japonais, criblé de dettes et au bord de la faillite quand Renault vole à son secours en 1999, est en effet devenu une puissante machine à cash. Bien plus puissante que la firme au losange. Le japonais réalise en effet un chiffre d'affaires nettement supérieur à celui du français (93 milliards d'euros contre 58,8 milliards pour le français en 2017), et "un cash flow qui est le double de celui de Renault par salarié", souligne l'économiste Michel Santi, directeur général d'Art Trading & Finance, dans une tribune. Les rumeurs de plus en plus insistantes ces derniers mois d'une fusion entre les trois protagonistes de l'Alliance, que les Japonais ont toujours rejetée avec véhémence, auraient également contribué à faire monter la tension.
Le déboulonnage de la statue Ghosn
Il n'est ici nullement question de gloser sur un éventuel complot : le dossier semble des plus solides. Simplement, la gestion de l'affaire par les dirigeants de Nissan laisse penser qu'il s'agit d'une opération de lâchage en bonne et due forme. "Le linge sale aurait très bien pu être lavé en famille, il n'y avait ainsi absolument aucune obligation d'organiser une conférence de presse devant 90 personnes", souligne Gaetan Toulemonde, analyste à la Deutsche Bank. Une conférence de presse, qui plus est, d'une rare violence.
Le directeur général de Nissan, Hiroto Saikawa, venu seul devant les caméras, s'est employé à démolir celui qui a été son mentor pendant près de 20 ans : "Je ressens une profonde déception, une frustration, un désespoir, une indignation et de la colère (...) C'est un problème que tant d'autorité ait été accordée à une seule personne (...) Je dois dire que c'est un côté obscur de l'ère Ghosn". L'homme a même semblé vouloir remettre en cause le sauvetage de Nissan par Ghosn -une aventure mythique pour les japonais, qui a même fait l'objet d'un manga- en parlant d'un travail avant tout "collectif". Mais, plus important, le patron japonais a surtout déclaré que, "le long règne de Carlos Ghosn a affecté les activités de Nissan".
En creux, l'homme semble donc clairement dénoncer une Alliance qui ne leur aurait pas été assez favorable. Un premier pas vers l'explosion d'une coalition patiemment construite depuis seize ans ? "Je ne pense pas : les niveaux d'imbrications entre les trois constructeurs et les enjeux économiques sont gigantesques", analyse Gaetan Toulemonde, qui penche plutôt pour une forme de rééquilibrage en faveur de Nissan. Une analyse que partage l'économiste Michel Santi. Il tient à rappeler qu'il "suffirait que Nissan rachète 10% d'actions de plus de Renault, et que sa participation dans la compagnie française passe ainsi à 25%, pour que cette dernière perde ses droits de vote dans Nissan, selon les lois japonaises".
Une telle opération ferait par la même occasion également perdre à Renault sa place au conseil d'administration du japonais. Une façon de s'affranchir définitivement de la tutelle de Renault. Mais Nissan pourrait aussi aller plus loin en essayant de placer un de ses hommes à la tête de l'Alliance, alors que Carlos Ghosn occupe ce poste depuis 19 ans. Voilà qui pourrait menacer certains accords récemment signés, à l'instar des projets de production de véhicules utilitaires pour l'ensemble de l'alliance sur les sites Renault de Sandouville (Seine-Maritime) et de Maubeuge (Nord). Un symbole fort, qui achèverait le renversement de régime qui se dessine depuis lundi.
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