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Des lobbyistes à la tête de la plupart des centres de recherche financés par le ministère de l'Agriculture - ICI.Radio-Canada.ca

Des cochons dans une porcherie.
Le Centre de développement du porc du Québec compte 8 représentants de l'industrie sur 12 postes au conseil d'administration, parmi lesquels 4 lobbyistes. Photo: Associated Press / Gerry Broome
Thomas Gerbet

La plupart des centres de recherche financés par le ministère de l'Agriculture du Québec sont administrés par une majorité de représentants de l'industrie, parmi lesquels des lobbyistes. Dans le même temps, le ministère a abandonné les pouvoirs qu'il y détenait. C'est ce qu'a découvert Radio-Canada, dans la foulée de l'affaire du lanceur d'alerte Louis Robert.

Le fonctionnaire Louis Robert a été congédié par le ministère de l'Agriculture du Québec (MAPAQ) pour avoir dénoncé dans les médias l'ingérence de lobbyistes propesticides au sein du Centre de recherche sur les grains (CÉROM), une situation qui avait entraîné la démission de plusieurs chercheurs.

Le CÉROM est financé à 68 % par le ministère. Pourtant, des 10 sièges du conseil d’administration, 6 sont occupés par des représentants de l’industrie, parmi lesquels 4 lobbyistes actifs. Le gouvernement n'y détient aucun droit de vote.

Le mois dernier, la controverse a contraint le président du CÉROM, Christian Overbeek, à recommander que les principaux postes d’administrateurs (président, vice-président, trésorier, secrétaire) ne soient plus occupés par des producteurs ou des représentants de l’industrie.

Or, la situation est la même dans la plupart des autres centres de recherche. L'industrie y est omniprésente, ce que dénoncent plusieurs experts.

On a mis le milieu agricole aux commandes.

Guy Debailleul, professeur d’économie agroalimentaire à l’Université Laval

Sans constater une crise interne semblable à celle du CÉROM, voici ce que nous avons découvert.

1. Centre de développement du porc du Québec (CDPQ)

Des cochons dans une porcherie françaiseLe CDPQ mène, entre autres, des recherches appliquées pour « permettre au secteur porcin québécois de répondre aux exigences des marchés et des consommateurs et assurer son développement durable ». Photo : Getty Images / Damin Meyer
  • Mission de recherche : « permettre au secteur porcin québécois de répondre aux exigences des marchés et des consommateurs et assurer son développement durable »
  • Argent reçu par année du MAPAQ : 2,4 millions de dollars (41 % du budget)
  • Administrateurs du ministère avec le droit de vote : 0 (une observatrice)
  • Administrateurs de l'industrie : 8 sur 11 (dont 4 lobbyistes)

Le président du C. A., Réjean Vermette, est producteur de porc et siège aussi au conseil d'administration de la Coop fédérée, la plus importante entreprise agroalimentaire au Québec.

Le vice-président, Yvan Lacroix, est lobbyiste actif et défend la filière porcine pour le compte de différents regroupements afin qu'elle soit priorisée par le gouvernement du Québec et reçoive de l'appui financier.

Depuis fin 2017, le CDPQ a élargi la composition de son conseil d’administration « pour avoir une meilleure représentativité de la filière », explique le directeur général, Jacques Faucher.

« Un comité a été mis en place pour définir les priorités de recherche », ajoute-t-il, et « tous les membres [du C. A.] adhèrent à un code d’éthique et de déontologie ».

« Le MAPAQ a décidé de ne plus occuper de fonction d’administrateur au sein du conseil d’administration, y occupant plutôt un rôle de conseiller. »

2. Centre de recherche, de développement et de transfert technologique acéricole (ACER)

Une goutte d’eau d’érable qui tombe Le Centre ACER effectue de la recherche appliquée « afin de stimuler l’innovation et de favoriser le développement durable de l'industrie ». Photo : getty images/istockphoto / Jeff Baumgart
  • Mission de recherche : « stimuler l’innovation et favoriser le développement durable de l'industrie »
  • Argent reçu par année du MAPAQ : 825 000 $ (44 % du budget)
  • Administrateurs du ministère avec le droit de vote : 0 (En revanche, il y a un représentant avec droit de vote du ministère des Forêts, alors que ce ministère ne finance que 1,6 % du budget)
  • Administrateurs de l'industrie : 12 sur 13 (dont 3 lobbyistes)

Le président du C. A., Serge Beaulieu, est également président et lobbyiste actif de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec.

Un autre administrateur, Simon Trépanier, est le directeur général et lobbyiste de la Fédération des producteurs.

Le vice-président du centre de recherche, Daniel Dufour, est également directeur général du Conseil de l’industrie de l’érable et lobbyiste actif pour le compte du Conseil de la transformation alimentaire du Québec.

Le Centre ACER mentionne que les membres du C. A. sont « représentatifs de la filière » (producteurs, transformateurs, équipementiers…). « Plusieurs administrateurs sont des compétiteurs, précise le directeur général Yves Bois. Cette diversité protège l’indépendance des activités du Centre. »

Il n’y a toutefois aucun représentant du monde universitaire ou des consommateurs.

« Le MAPAQ a graduellement décidé, ces dernières années, de diminuer sa participation de deux administrateurs [avec droit de vote] à un observateur », explique M. Bois.

« Nous sommes actuellement à finaliser un code d’éthique des administrateurs », ajoute le directeur général.

3. Centre d'expertise en production ovine (CEPOQ)

Une brebis et son agneau.Une des missions du CÉPOQ est de « contribuer à la protection de l’environnement, à la santé des troupeaux et à la sécurité alimentaire. » Photo : Radio-Canada / Julie Préjet
  • Mission de recherche : « contribuer à la protection de l’environnement, à la santé des troupeaux et à la sécurité alimentaire »
  • Argent reçu par année du MAPAQ : 810 000 $ (56 % du budget)
  • Administrateurs du ministère avec le droit de vote : 0 (une observatrice)
  • Administrateurs de l'industrie : 5 sur 8 (dont 2 lobbyistes)

La majorité des membres du conseil d’administration sont des producteurs.

Le vice-président du C. A. François Deslauriers est également premier vice-président et lobbyiste de la Fédération des éleveurs ovins du Québec.

Le président de la Fédération siège aussi au conseil d’administration du centre de recherche.

Il n’y a aucun représentant de la recherche universitaire ou des consommateurs.

« C'est le gouvernement du Québec qui a demandé à son employé de ne pas avoir de droit de vote », explique le président du CEPOQ, Georges Parent.

« On a un C. A. assez représentatif, ajoute-t-il. C’est sûr que ce sont surtout des producteurs parce que ce sont les utilisateurs de la recherche. »

Le CEPOQ s’engage à l’« impartialité de l’expertise fournie » et à la « qualité et rigueur des travaux ».

4. Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA)

Un champ de canola en fleurs, avec une ferme au loin L’IRDA a pour mission de « soutenir le développement d’une agriculture durable au Québec ». Photo : Shutterstock
  • Mission de recherche : « soutenir le développement d’une agriculture durable au Québec »
  • Argent reçu par année du MAPAQ : 6,3 millions de dollars (56 % du budget)
  • Administrateurs du ministère avec le droit de vote : 0 (aucun observateur)
  • Administrateurs de l'industrie : 5 sur 9 (dont 2 lobbyistes)

Un des administrateurs de l’institut de recherche est Martin Caron, premier vice-président de l’Union des producteurs agricoles et lobbyiste actif de l’UPA.

Yvan Fréchette, premier vice-président et lobbyiste pour les Éleveurs de porcs du Québec, est aussi administrateur de l’IRDA.

L’institut de recherche considère que son conseil d’administration offre une « représentativité à l’image de l’ensemble de filières agricoles visées par les activités de recherche et développement » avec des producteurs de divers secteurs.

Le président du C. A. est un agronome du MAPAQ à la retraite. Mais les fonctionnaires actifs du ministère ne sont plus là.

« Le MAPAQ était présent sur le conseil depuis 1998, mais a renoncé en 2017 à son siège de membre votant », explique Mathieu Bilodeau, responsable des communications de l’IRDA.

5. Centre d'expertise en production laitière du Québec (Valacta)

Vaches laitières à l'heure de la traiteValacta a comme mission de « contribuer au développement durable et à la prospérité du secteur laitier par le transfert du savoir et par ses services d’analyse et de gestion de l’information. » Photo : iStock
  • Mission de recherche : « contribuer au développement durable et à la prospérité du secteur laitier par le transfert du savoir et par ses services d’analyse et de gestion de l’information »
  • Argent reçu par année du MAPAQ : Inconnu. (Valacta ne publie pas ses états financiers et a refusé de nous les fournir. Le Centre affirme que cela représente moins de 6 % de son budget, mais impossible de le vérifier.)
  • Administrateurs du ministère avec le droit de vote : 1. (C'est une particularité chez Valacta : le MAPAQ y a maintenu son droit de vote. Le siège est toutefois vacant et sera pourvu en avril. Il y a aussi une observatrice du ministère dans le C. A., non-votante.)
  • Administrateurs de l'industrie : 7 sur 14 (dont 4 lobbyistes)

Le président du C. A., Pierre Lampron, est également administrateur des Producteurs de lait du Québec et lobbyiste enregistré pour leur compte. Il plaide pour que toute modification à la politique bioalimentaire du Québec « favorise la prospérité et le développement du secteur laitier ».

Le conseil d’administration est composé d’une majorité de producteurs laitiers. « C’est notre clientèle principale, explique la directrice des communications de Valacta, Annik Perron. Les Producteurs de lait du Québec sont actionnaires majoritaires. »

L’Université McGill et le MAPAQ sont les deux autres actionnaires.

Trois universitaires siègent actuellement au C. A., et cela « constitue une caution scientifique à nos actions », dit la porte-parole de Valacta.

Contrairement aux autres organismes, le ministère de l’Agriculture a conservé son droit de vote, et Valacta y voit un avantage. « Le MAPAQ, en étant membre votant, veille à la bonne utilisation des fonds qui nous sont octroyés », affirme Annik Perron.

6. Centre de recherche en sciences animales de Deschambault (CRSAD)

Des milliers de poulets dans une immense pièce.Le CRSAD a pour objectif de « soutenir la recherche et le développement en sciences animales selon une stratégie collective afin d'enrichir l'expertise du secteur. » Photo : getty images/istockphoto / ligora
  • Mission de recherche : « soutenir la recherche et le développement en sciences animales selon une stratégie collective afin d'enrichir l'expertise du secteur »
  • Argent reçu par année du MAPAQ : 1,9 million $ (40 % du budget)
  • Administrateurs du ministère avec le droit de vote : 0 (une observatrice)
  • Administrateurs de l'industrie : 2 sur 10 (dont 2 lobbyistes)

Le vice-président du C. A. Yvan Fréchette est premier vice-président des Éleveurs de porcs du Québec. À ce titre, il est enregistré comme lobbyiste pour orienter les actions du gouvernement afin de favoriser la filière porcine.

Le CRSAD dispose cependant d'un conseil d'administration très diversifié. Son président est chercheur à l'Université Laval, et trois autres universitaires siègent au C. A.

Il y a deux ans, le ministère de l’Agriculture s’est retiré du conseil d’administration pour n’y laisser qu’une observatrice.

Des experts recommandent des changements

Il y a 20, 25 ans, la recherche appliquée se faisait encore à l’intérieur du ministère de l’Agriculture du Québec, mais le MAPAQ a converti ses centres de recherche en organismes sans but lucratif au tournant des années 2000.

Les investissements privés ont été encouragés, mais le gouvernement a conservé une part importante du financement.

En 2016 et 2017, sous la gouverne du ministre libéral Pierre Paradis, les fonctionnaires du ministère ont soudainement quitté leurs sièges aux conseils d’administration des organismes.

Le manque de leadership du MAPAQ a été remplacé par celui de l'Union des producteurs agricoles qui, elle, n'a pas peur d'exercer du pouvoir.

Guy Debailleul, professeur d’économie agroalimentaire à l’Université Laval

Le professeur d'économie agroalimentaire à l'Université Laval Guy Debailleul a déjà siégé au conseil d’administration de l’IRDA. Il se souvient de prises de bec qui, selon lui, « illustraient la position de conflit d’intérêts de certains représentants des producteurs ».

Le professeur recommande que les représentants de l’industrie ne soient pas présents dans les C.A., mais dans des comités d’orientation, sans avoir le pouvoir de bloquer la planification ou la diffusion de recherches.

M. Debailleul demande aussi au ministère d’« assumer sa responsabilité dans l'utilisation des fonds publics », puisque « certaines recherches concernent l'ensemble de la société ».

Une opinion partagée par l'ancienne secrétaire générale de la Commission Pronovost sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire au Québec, Suzanne Dion.

Le MAPAQ justifie son absence

« Les représentants du MAPAQ étaient placés en situation de conflit de loyauté entre leurs responsabilités légales d’administrateurs et l’exercice de leur charge publique », explique le porte-parole du ministère, Yohan Dallaire-Boily.

Par exemple, la loi oblige les membres d'un conseil d'administration d'avoir pour seul ou principal objectif le bien de l'organisme.

Le MAPAQ estime que les « personnes-ressources » qui ont remplacé les administrateurs votants « disposent de la marge de manoeuvre pour informer le ministère de situations qui requièrent son attention ».

Il existerait une solution facile au problème du ministère, selon Michel Magnan, professeur et titulaire de la chaire de gouvernance d'entreprise S.A. Jarislowsky de l’Université Concordia : « Ce n'est pas obligatoire que les administrateurs soient des fonctionnaires, ça peut être des personnes nommées par le ministère. »

Même l’Union des producteurs agricoles, omniprésente sur les conseils d’administration, en appelle au retour des administrateurs du MAPAQ.

« Nous, on n’a jamais eu d’objection, au contraire, dit le président de l’UPA, Marcel Groleau. On a toujours souhaité la présence du MAPAQ avec nous sur ces conseils d’administration, avec un droit de vote également, pour bien s’exprimer sur les enjeux et les décisions à prendre. »

L'intérêt des producteurs est largement compatible avec l'intérêt public.

Marcel Groleau, président de l’Union des producteurs agricoles

Est-ce que les producteurs agricoles sont trop nombreux dans les C. A. des centres de recherche ? « C’est au MAPAQ de l’évaluer », dit Marcel Groleau.

« Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, dit-il. La présence de ces producteurs est essentielle pour orienter ou s'assurer que ces recherches correspondent aux enjeux qu'on vit sur le terrain. Pour pas que ce soit des trips de chercheurs. »

Selon lui, la crise vécue au CÉROM ne se retrouve pas dans les autres centres de recherche, et il affirme que les producteurs n’ont aucun intérêt à influencer des résultats de recherche.

« Les producteurs sont les premiers à vouloir la vérité, dit Marcel Groleau. S'il y a un traitement qui est plus efficace qu'un autre, je suis le premier à vouloir le savoir. »

Nouvelles directives du ministère

L’an dernier, dans la foulée de la crise au CÉROM, le ministère de l’Agriculture a transmis de nouvelles directives aux centres de recherche en ce qui concerne leur gouvernance.

Les membres du C. A. peuvent être issus d'un milieu, mais n'en sont pas les représentants.

Consigne donnée par le ministère de l’Agriculture du Québec

Les conseils d’administration doivent représenter « tous les maillons de la filière », instaurer une « rotation des membres », et les officiers (président, vice-président, trésorier, secrétaire) doivent avoir des profils diversifiés.

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