Trois semaines après l’entrée en poste de son nouveau PDG, Agropur rationalise encore ses activités canadiennes : 125 cadres perdent leur emploi, dont une cinquantaine au siège social de l’arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil.
Le couperet est tombé en réaction à la forte érosion de la rentabilité de la coopérative laitière. L’excédent net est en baisse de 80 % après trois trimestres. Les frais de restructuration, les frais d’intérêt et l’amortissement sont fortement en hausse, notamment.
« Dans un contexte de marché compétitif et dans le but de renforcer la profitabilité de ses activités canadiennes, Agropur coopérative annonce qu’elle procède à une revue organisationnelle », a fait savoir l’organisation dans un communiqué en fin de journée mercredi.
Au total, 125 employés seront touchés à travers le pays.
Extrait d’un communiqué publié par Agropur
« Il y a eu une revue organisationnelle qui touche différents paliers au niveau des cadres de l’entreprise à travers le pays et qui est faite dans l’objectif d’optimisation des structures opérationnelles, précise, dans un entretien, Véronique Boileau, vice-présidente aux communications chez Agropur. Ça peut représenter des postes vacants qui ont été abolis. Ça peut être des départs d’employés qui ne sont pas remplacés. Ça peut être des postes coupés. »
La direction d’Agropur a confirmé dans la foulée le licenciement d’au moins six vice-présidents en octobre, dont le responsable des opérations canadiennes, Michael Aucoin, et Jérôme Dujoux, vice-président au marketing, qui s’était joint au transformateur laitier en juin dernier. Le Journal de Montréal avait relayé l’information mercredi matin.
À noter que les six vice-présidents remerciés ont tous été nommés sous le règne du PDG sortant Robert Coallier. Parmi eux, la personne ayant le plus d’ancienneté chez Agropur était Marie-France Veilleux, vice-présidente à la coopération et à la gouvernance, arrivée en 2014.
Qui est le nouveau PDG d’Agropur ?
Ces bouleversements surviennent quelques semaines après l’entrée en poste du nouveau PDG, Émile Cordeau, le 15 octobre dernier.
Entré chez Agropur en 2013, Émile Cordeau a d’abord occupé diverses fonctions avant d’accéder au poste de vice-président principal et chef de la direction financière.
Par exemple, il a occupé auparavant la vice-présidence du groupe des services alimentaires et du commerce de proximité et a également été responsable de l’unité d’affaires des fromages fins.
Auparavant, Émile Cordeau avait passé sept ans chez Dollarama, où il avait croisé Robert Coallier, le PDG sortant d’Agropur qui prendra sa retraite le 31 décembre. M. Cordeau a travaillé en finance et fusions et acquisitions chez Transcontinental et RBC Marchés des capitaux. Il est titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires de HEC Montréal.
Plus tôt dans l’année, Agropur a annoncé la fermeture de l’usine de Lachute (180 employés), qui a fait l’objet d’un coûteux rappel de friandises glacées récemment. Elle a aussi confirmé la fermeture de l’usine de transformation de lait de chèvre de Saint-Damase (110 personnes) à la fin octobre.
Dans sa revue financière du troisième trimestre, se terminant le 3 août, la coopérative attribuait ses déboires au Canada à la vive concurrence et au transfert du centre de distribution de l’usine de Don Mills à un centre situé à Etobicoke, qui a entraîné une « perte d’efficacité ». Agropur y préparait surtout le terrain à une nouvelle restructuration.
« Devant cette situation au Canada, nous sommes à revoir notre stratégie et nous assurer de rebâtir une rentabilité plus acceptable. Cette démarche nécessitera une revue en profondeur de nos façons de faire. Nous vous informerons davantage sur les actions qui seront posées au cours des prochains mois », écrivait Agropur dans son message aux membres et aux employés.
Des signes qui ne mentent pas
De mauvais résultats financiers, l’annonce de la fermeture de deux usines et le départ récent de six hauts dirigeants, voilà plusieurs indices indiquant qu’Agropur traverse en ce moment une période difficile, selon des experts, des agriculteurs et d’anciens membres du conseil d’administration interrogés par La Presse.
La coopérative a connu un mois d’octobre mouvementé. Agropur a annoncé la fermeture de son usine de crème glacée à Lachute ainsi que la fin des activités de son installation de Saint-Damase, où l’entreprise produit du fromage de chèvre, touchant au total près de 300 employés.
Agropur a également annoncé le départ à la retraite de son chef de la direction Robert Coallier et hier, on confirmait que six vice-présidents s’étaient fait montrer la porte.
Quand le remplacement [de Robert Coallier par Émile Cordeau] a été annoncé, c’était signe que les choses n’allaient pas aussi bien que prévu.
Pascal Thériault, agronome et économiste à l’Université McGill
Ce changement à la tête de la coopérative envoyait des « signaux clairs » que tout n’allait pas pour le mieux.
Mauvaise gestion ? « Je pense qu’ils avaient une vision expansionniste et qu’ils ont pris de mauvaises décisions, croit de son côté Maurice Doyon, directeur du département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval. En transformation laitière, les marges sont très faibles. Il y a eu un manque de focus sur les marges. » Selon lui, la haute direction de l’entreprise aurait dû surveiller de plus près les opérations.
Situation inévitable
Loin du siège social de l’entreprise à Longueuil, les producteurs laitiers sentaient eux aussi qu’Agropur ne vivait pas ses meilleurs jours.
Depuis quelques années, en consultant les états financiers, Guillaume Nadeau, producteur laitier à Coaticook et membre de la coopérative, voyait bien que quelque chose n’allait pas. « Ils faisaient des chiffres d’affaires de fou et les bénéfices diminuaient. »
C’est sûr que les dernières années, les ristournes étaient pas mal moins intéressantes que par le passé. […] Avant, on avait l’équivalent d’un mois de paye de lait. Maintenant, ça représente une semaine.
Sabrina Caron, productrice laitière à Laurierville, dans le Centre-du-Québec
Membre du conseil d’administration de l’entreprise entre 2005 et 2014, Louis Chassé reconnaît que certaines décisions ont eu « des répercussions sur la rentabilité ».
« On a fait beaucoup d’investissement aux États-Unis. On a déjà connu des années plus fastes comme membres », admet-il.
« Ça fait des années qu’on aurait dû arrêter d’avoir des ristournes pour investir dans les usines et les rendre plus efficaces », estime Guillaume Nadeau.
Pour Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie, la crise vécue par Agropur était inévitable. « Ce n’est pas surprenant. On n’innove pas assez rapidement. »
Selon lui, il y a un fort engouement pour la protéine végétale et la coopérative n’a pas saisi la balle au bond. « Le consommateur cherche autre chose que des produits traditionnels, dit-il. Les sociétaires sont des producteurs de lait. Ils sont un peu en conflit avec ce qui se passe sur le marché. »
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