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Les trains du REM fabriqués à rabais en Inde - TVA Nouvelles

Le Québec a développé une expertise internationale grâce à Bombardier, qui avait été choisie pour construire le métro de Montréal en 1974, pour ensuite devenir une des premières entreprises de calibre mondial du Québec inc.  

L'entreprise a aussi construit les nouveaux trains Azur de la Société de transport de Montréal, qui sont, pour ceux qui les utilisent, de vraies limousines souterraines comparativement à plusieurs autres métros du monde.   

Bombardier Transport, qui appartient aujourd’hui en bonne partie aux Québécois par le biais de la Caisse de dépôt et placement du Québec, a ensuite acquis ou construit des usines de fabrication de trains à travers le monde, dont ici, à La Pocatière, dans le Bas-Saint-Laurent.   

Malgré tout, la Caisse de dépôt du Québec, qui mène présentement le plus gros projet d’infrastructure au Québec depuis les grands barrages d’Hydro-Québec avec le Réseau express métropolitain (REM), un circuit de métro léger de plus de 6 milliards $ qui comptera 26 stations éparpillées sur 67 km dans la grande région de Montréal, a choisi le constructeur français Alstom pour fabriquer ces engins. Et celui-ci a décidé de faire construire ses trains en... Inde !   

Avec une journaliste de l’AFP-Services en Inde, nous avons pris contact avec Alstom et avec le Réseau express métropolitain (REM), dès le mois de juillet, afin de pouvoir visiter l’usine d’Alstom à Sri City. L’idée était de se rendre sur les lieux, de rencontrer les travailleurs et de faire un point sur l’état d’avancement des 212 voitures du REM. Nous avons tenté de nous y faire inviter, mais nos demandes ont été ignorées. Alstom nous a fait savoir par téléphone que la décision revenait au REM.   

Après de nombreuses relances auprès des deux parties, le REM nous a finalement fait savoir en septembre qu’il n’était pas possible d’envisager une telle activité dans l’immédiat, mais qu’il nous recontacterait en temps voulu.   

 La journaliste de l’AFP-Services s’est rendue directement à Sri City pour constater les conditions de travail, mais aussi pour découvrir une ville totalement dédiée aux multinationales qui évitent les syndicats. Dans notre reportage, notre journaliste économique Sylvain Larocque a quant à lui regardé quelles auraient été les retombées pour le Québec d’avoir plutôt investi ici pour fabriquer les futurs trains du métro léger de la région de Montréal.   

À notre retour de Sri City, en octobre, REM et Alstom nous on fait savoir qu’ils étaient finalement disposés à nous faire visiter l’usine, si nous excluions toute question ou photo relatives au projet REM.   

Yves Daoust, directeur, Argent  

  

Des travailleurs arrivent au travail à l’usine d’Alstom, à Sri City, en Inde, le 16 octobre dernier.

Photo AFP-Services

Des travailleurs arrivent au travail à l’usine d’Alstom, à Sri City, en Inde, le 16 octobre dernier.

  

  

SRI CITY, Inde | Ils sont des centaines à contribuer à la construction des rames du futur Réseau express métropolitain, en Inde. Ingénieurs, techniciens, ouvriers et femmes de ménage. Nous sommes allés à leur rencontre à Sri City, dans le sud du pays.   

Les rayons du soleil naissant se reflètent sur l’asphalte encore humide d’une nuit de fortes pluies.   

Il est 7 h 30 lorsque des autobus commencent à franchir le portail d’Alstom, à Sri City, un parc industriel privé situé en Andhra Pradesh, dans le sud-est de l’Inde.   

On aperçoit brièvement les visages d’ingénieurs et de techniciens, avant que les bus ne disparaissent dans l’enceinte surveillée de l’entreprise française.   

Derrière ces murs, que nous n’aurons pas été autorisés à franchir, se construisent actuellement les 212 voitures du futur Réseau express métropolitain (REM).   

 Saurabh (dont on taira le nom complet pour éviter les représailles de son employeur, comme nous l’avons fait pour plusieurs autres travailleurs rencontrés) a moins de 30 ans.  

Derrière le portail, des salariés d’Alstom arrivent au travail, le 16 octobre.

Photo AFP-Services

Derrière le portail, des salariés d’Alstom arrivent au travail, le 16 octobre.

  

Il porte une chemise Alstom aux plis parfaits, signe de son statut dans l’entreprise.   

« Ingénieur outils », il touche de 770 à 810 $ canadiens par mois, pour 10 heures passées au travail par jour, dont huit effectives. Et cela, cinq jours par semaine.   

 À son salaire s’ajoutent d’autres avantages, comme le transport de son domicile à l’usine, deux repas quotidiens ou encore 35 jours de congés payés.   

 « Depuis que j’ai commencé à travailler, je n’ai pas pris plus de 10 jours, ils sont plutôt réticents à nous accorder nos congés », affirme Saurabh, qui travaille en ce moment de nuit, sans aucune compensation particulière, nous dit-il.   

Vues du Canada, ces conditions de travail semblent peu enviables. Pourtant, Saurabh s’en réjouit. Car obtenir un emploi salarié à temps plein en Inde est loin d’être une chose facile. Le taux de chômage, à 6,1 % en 2017-2018, n’a jamais été aussi haut en 45 ans et il frappe de plein fouet les jeunes diplômés.   

 « C’est une usine d’envergure internationale, c’est une fierté pour moi quand je vais à Chennai de prendre le métro que j’ai fabriqué, et le projet de Montréal est pour nous très prestigieux », dit Saurabh.   

  C’est de cette usine que sont sorties les rames du métro de Chennai, de Lucknow et de Kochi, toutes trois situées en Inde, mais aussi de la ville de Sydney, en Australie, et bientôt de Montréal.  

Une photo des employés de l’usine affichée sur le profil Facebook d’un des travailleurs.

Photo Facebook

Une photo des employés de l’usine affichée sur le profil Facebook d’un des travailleurs.

  

Barun, lui, est électricien : il tire les câbles qui viendront alimenter les rames du futur REM.   

S’il ne gagne que 460 $ CA mensuellement, il espère pouvoir « encore et encore » travailler pour Alstom.   

Munthir, responsable d’inventaire, empoche lui aussi 460 $ CA par mois.   

« Le salaire n’est pas énorme. Aujourd’hui, je suis célibataire, mais si je veux un jour me marier, cela ne sera pas assez », s’inquiète le jeune homme, qui envoie la majeure partie de son salaire à ses parents, d’anciens agriculteurs du Tamil Nadu voisin. Lui se contente de vivre avec 90 $ CA par mois.   

 « S’il y avait un syndicat, je le rejoindrais, car dans mon ancienne entreprise, ils nous aidaient à négocier des bonus et des augmentations de salaire », dit-il.   

 Aucun syndicat n’est jamais parvenu à s’implanter à Sri City.  

Salaires en Inde   

  •  5520 $ annuellement pour un électricien  
  •  9240 $ annuellement pour un ingénieur    

Salaire au Québec   

  •  57 000 $ annuellement pour un machiniste d’expérience à l’usine de Bombardier Transport à La Pocatière  
  •  102 000 $ annuellement pour un ingénieur    
Un des travailleurs au prénom de Neshta (prénom fictif dont on taira le nom complet pour éviter les représailles de son employeur, comme nous l’avons fait pour plusieurs autres travailleurs rencontrés), qui nous a parlé des salaires.

Photo Facebook

Un des travailleurs au prénom de Neshta (prénom fictif dont on taira le nom complet pour éviter les représailles de son employeur, comme nous l’avons fait pour plusieurs autres travailleurs rencontrés), qui nous a parlé des salaires.

  

 Si Saurabh, Barun et Mundir sont employés directement par Alstom, d’autres petites mains dépendent de sous-traitants.   

 Sur leurs uniformes, on reconnaît notamment les logos « Securitas », du nom de la société de surveillance suédoise Sodexo, de la multinationale française ou encore TVS, une entreprise spécialisée dans la logistique.   

 Ces ouvriers, ces cantinières et ces femmes de ménage arrivent à pied ou à bord d’autos-rickshaw surchargées. Pour eux, pas d’autobus affrétés par Alstom.   

 C’est le cas de cet homme vêtu d’un t-shirt bleu turquoise estampillé « TVS », qui travaille pourtant depuis trois ans dans l’entrepôt d’Alstom pour la maigre somme de 185 $ CA par mois et 12 jours de congés payés par an.   

Un ingénieur au prénom de Kkumarsi (prénom fictif dont on taira le nom complet pour éviter les représailles de son employeur, comme nous l’avons fait pour plusieurs autres travailleurs rencontrés), qui nous a parlé de son métier « d’ingénieur outils ».

Photo Facebook

Un ingénieur au prénom de Kkumarsi (prénom fictif dont on taira le nom complet pour éviter les représailles de son employeur, comme nous l’avons fait pour plusieurs autres travailleurs rencontrés), qui nous a parlé de son métier « d’ingénieur outils ».

  

Les infirmiers qui s’occupent des petits bobos sont eux aussi employés par une société tierce pour un salaire d’environ 330 $ CA par mois.   

Les femmes de ménage doivent se contenter de vivre avec 144 $ CA mensuellement.   

« Les conditions sont bonnes, c’est notre premier travail, avant nous étions paysannes », lance une femme vêtue d’un uniforme Sodexo, avant de pointer au loin l’emplacement de ses anciennes terres.   

« Les conditions des anciens agriculteurs qui ont trouvé du travail à Sri City sont sans aucun doute meilleures qu’auparavant », admet Partha Mukhopadhyay du Center for Policy Research à New Delhi.   

« Sont-elles justes pour autant ? »  

Les routes parfaitement goudronnées et quasiment désertes de Sri City,
le 16 octobre.

Photo AFP-Services

Les routes parfaitement goudronnées et quasiment désertes de Sri City, le 16 octobre.

Sortie de terre en 2008, Sri City est une ville industrielle gouvernée en grande partie par des intérêts privés. Ici, tout est fait pour attirer les entreprises : des infrastructures aux avantages fiscaux, en passant par la gouvernance. En prime, les syndicats sont aux abonnés absents.   

« Travailler, vivre, apprendre et s’amuser ». Tel est le slogan de Sri City. Une étrange cité industrielle privée dans l’État d’Andhra Pradesh, au sud-est de l’Inde, où est implantée l’usine d’Alstom, responsable de la fabrication des rames du Réseau express métropolitain (REM).   

Les routes longilignes parfaitement goudronnées et bordées de palmiers verdoyants y sont quasiment désertes. Créée sur d’anciennes terres agricoles, elle comprend aujourd’hui un bureau de poste, un commissariat, deux universités et des hôpitaux.   

Mais malgré ses 15 000 habitants, Sri City ressemble à une cité fantôme où les allées et venues sont soigneusement surveillées.   

Pour Ravindra Sannareddy, fondateur de Sri City, ces infrastructures sont autant de signes de la réussite de son projet.   

« Nous avons nos propres règles, notre propre argent, et les parcs industriels privés sont plus efficaces, car ils prennent des décisions plus rapidement. »   

Sri City est en effet gouvernée par une collectivité composée d’un officiel du gouvernement et des représentants des entreprises. Cette autorité possède des pouvoirs similaires à ceux d’une municipalité, notamment en matière de collecte des impôts ou de permis de construire.   

« Un partenariat public-privé dans lequel le gouvernement est impliqué », résume M. Sannareddy.   

Si Sri City n’a rien à voir avec les bouillonnantes villes indiennes, elle a tout du parc industriel. Cadbury, Colgate-Palmolive, Kellogg’s, Isuzu ou encore Alstom : 185 entreprises de 27 pays différents y sont présentes. Pour elles, élire domicile à Sri City offre de nombreux avantages, notamment fiscaux.   

Par exemple, dans la « zone économique spéciale », les compagnies bénéficient d’une exemption d’impôts sur leurs revenus liés à l’export pendant les cinq premières années.   

La « zone tarifaire domestique » prévoit quant à elle des abattements sur la TVA (taxe à valeur ajoutée) ou encore le remboursement d’une partie de l’électricité durant les premières années d’activités. C’est dans cette zone qu’Alstom a choisi de s’implanter.   

 Autre avantage, « il n’y a pas de syndicat », dit très clairement une plaquette de communication téléchargeable sur le site internet de Sri City.   

« Les syndicats ne sont présents que lorsqu’il y a des problèmes, mais nous n’avons aucun problème, donc nous n’avons pas de syndicats, raisonne M. Sannareddy. Auriez-vous l’idée d’avoir un médecin chez vous si vous êtes en bonne santé ? »  

Dans les zones économiques spéciales, et plus largement dans les parcs industriels, le droit du travail est le même que dans le reste de l’Inde. Les syndicats pourraient donc parfaitement y trouver leur place. Comment expliquer leur inexistence à Sri City, alors que 50 000 personnes y travaillent ?   

L’absence de représentation directe du département du Travail indien, responsable des relations avec les partenaires sociaux, peut apporter une première explication.   

Comme dans les autres zones économiques spéciales, il revient au bureaucrate responsable du développement, rattaché au ministère du Commerce, de faire appliquer le droit du travail.   

 « Cela complique la tâche des salariés pour s’organiser et s’assurer que le droit du travail est bien respecté », estime Partha Mukhopadhyay, du Center for Policy Research de New Delhi.   

Le bureau du commissaire chargé du développement de Sri City affirme néanmoins que la procédure, en cas de conflit, est très claire.   

 « Il suffit pour les salariés de se manifester auprès de ce bureau et leurs doléances seront prises en compte. »   

 On voit pourtant mal un salarié seul franchir la porte du bureau d’un officiel dépêché par le gouvernement central.   

 D’ailleurs, aucun travailleur ne se serait jamais manifesté. Selon une autre critique récurrente vis-à-vis de ce genre de parcs industriels en Inde, les entreprises préféreraient délibérément embaucher des gens d’autres régions du pays.   

 « Ces travailleurs ne parlent pas la même langue et n’ont pas les mêmes connexions que les locaux, donc il est plus difficile pour eux de faire entendre leur voix », explique K. Murali, secrétaire générale du syndicat CITU pour le district de Chittoor, dont dépend Sri City.   

 À croire que les syndicats ne sont pas les bienvenus dans cette ville avant tout pensée pour le bien-être des entreprises : des infrastructures à la gouvernance. Quoiqu’en dise son slogan.  

Devant le portail d’Alstom, des employés s’apprêtent à commencer leur quart de travail. Un agent de sécurité a demandé à la journaliste de le suivre jusque dans les bureaux de leur responsable.

Photo AFP-Services

Devant le portail d’Alstom, des employés s’apprêtent à commencer leur quart de travail. Un agent de sécurité a demandé à la journaliste de le suivre jusque dans les bureaux de leur responsable.

  

 Les allées et venues sont surveillées. Que ce soit par les services de sécurité des entreprises, celui de la ville, ou tout simplement par la police.   

 « Est-ce que je peux voir votre pièce d’identité ? » lance sans ciller le responsable de la sécurité d’Alstom, P. Rajendra.   

 Depuis qu’il s’est reconverti dans le privé, cet homme, qui se présente comme un ancien du Bureau central d’investigation indien, n’a pas perdu ses habitudes. Pendant que l’on discute devant le portail d’Alstom avec des employés s’apprêtant à prendre leur service, un agent de sécurité nous demande de le suivre jusque dans les bureaux de leur responsable.   

« Je peux vous garder dans mon bureau jusqu’à ce que la police vienne pour vérifier votre identité », nous lance-t-il, en nous offrant par la même occasion une tasse de café.   

 Finalement, ce sont les agents de la sécurité de la Ville de Sri City qui viendront nous chercher en voiture pour nous escorter jusqu’au centre des visiteurs, où nous avions rendez-vous avec le directeur et fondateur de Sri City, Ravindra Sannareddy.   

 En plus des agents de sécurité de chaque entreprise, Sri City emploie 150 personnes pour « surveiller ses bureaux », « ses points d’entrée », et « gérer le trafic routier », mais aussi « assister la police », nous dit-on.   

Car les multinationales installées ici apprécient le calme.   

 « Les entreprises n’aiment pas les gens qui viennent ici sans y être invités ; je vous avais demandé de venir directement au visitor’s center », nous rappelle Ravindranath Chivukula, en charge des relations publiques à Sri City.  

Le poste de police de Sri City, dans l’État d’Andhra Pradesh, le 16 octobre.

Photo AFP-Services

Le poste de police de Sri City, dans l’État d’Andhra Pradesh, le 16 octobre.

 « Les routes sont privées, même si tout le monde peut les utiliser, à condition d’avoir une autorisation », tente-t-il d’expliquer.   

 Pourtant, à la nuit tombée, lorsque nous discutons dans la zone d’habitation de Sri City avec d’autres ouvriers d’Alstom, un policier nous demande à nouveau des comptes. Il souhaite savoir ce que nous faisons encore dans les environs alors que notre rendez-vous professionnel est terminé depuis plusieurs heures. Face à notre étonnement, il tente alors de se justifier.   

 « C’est pour votre sécurité, rien d’autre, vous êtes des étrangers, et il fait déjà nuit. »   

 Entre sécurité privée et policiers en fonction, Sri City est décidément bien gardée.  

- Créée en 2008, Sri City a l’ambition de devenir une ville industrielle. Elle est construite sur d’anciennes terres agricoles en Andhra Pradesh, à la frontière avec le Tamil Nadu, dans le sud-est de l’Inde.    

 - Aujourd’hui, environ 15 000 personnes vivent à Sri City et espère compter 100 000 habitants d’ici cinq ans.    

- Environ 50 000 personnes travailleront à Sri City.   

- 150 personnes sont directement employées par Sri City pour gérer la sécurité du parc industriel et surveiller les entrées ou gérer le trafic routier.       

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